Parmi les hammams récemment construits, nombreux sont ceux qui ont perdu ce côté intimiste que le lieu procure habituellement L'espace que l'architecte Raouf Arabany a dessiné conserve la démarche sans sacrifier à l'usage.
 

Les hammams de quartier, ou les hammams « chaâbi » sont des lieux de convivialité, joyeux, bruyants, vivants, où la vapeur se mêle aux conversations. Pour la femme marocaine, le jour du hammam est un jour dédié à elle seule. C’est un moment sacré de liberté et de bien-être. Elle y vient avec son seau contenant un ensemble de produits traditionnels : gant de crin, savon noir, henné ou ghassoul (argile noir). Le lieu est composé de trois salles chauffées traditionnellement par un système de feu de bois. La vapeur envahit les salles et les sature à 100 % d’humidité.

Les pièces se succèdent du froid au chaud. De hauts plafonds en voûte permettent de faire glisser le long du mur les gouttes d’eau, qui tomberaient si le plafond avait été plat. La salle la plus chaude qui se trouve au fond contient une grande « Barma » (grande cuve remplie d’eau chaude), d’où l’on puise l’eau. Grâce à la chaleur diffuse et humide, le corps se détend, les pores se dilatent, les sens se développent. Au milieu de cet univers dense de vapeur et de parfums divers, évoluent de nombreuses personnes, les Kassalates et les Tayabates qui s’occupent à merveille de notre corps.

Notre grande métropole Casablanca compte une multitude de hammams luxueux perçus comme un lieu de détente. Délicieuse sensation de liberté, où corps et esprit sont revitalisés et relaxés.

En vérité, ces lieux de dernière tendance, où le rituel de purification se déroule dans un cadre élégant, ne reprennent pas parfaitement le concept du hammam populaire, le fameux hammam de quartier.

En effet, la notion de convivialité se perd dans ces lieux. L’individualisme prime. L’on est confiné dans un coin, de peur de déranger, en face de la cuve d’eau, solitaires ! Allongés dans la salle de vapeur, pièce de petite dimension en général en gradins, on se regarde sans se parler, on attend qu’on nous appelle pour se faire frotter. L’impression d’être dans une entreprise de service se fait sentir, où on se fait frotter et masser à la chaîne, sans le rapport personnel qui fait la différence entre les Tayabates. En prime, une succession d’interdits : pas le droit de se faire frotter soi-même dans la salle de vapeur, pas le droit de se mettre le Henné sur le corps, pas le droit de se balader dans son simple appareil…

Du point de vue architectural, les hammams luxueux ne se composent que de deux salles. L’une est grande et tiède, où sont alignées des tables en marbre sur lesquelles on se fait frotter. L’autre, une salle de sudation plus chaude, où l’on transpire, assis gentiment sur des gradins, attendant que cette bonne vapeur dilate les pores de notre peau… Au moment où l’on commence à se détendre, où l’esprit vogue vers d’autres cieux, où l’on se dit : « Mon Dieu que je suis bien ! », une voix tonitruante vient vous tirer brutalement de vos songes. Votre tour est venu pour la séance de gommage.

L’idéal serait de trouver un hammam qui allie tradition et modernité, un hammam qui nous permettrait de rester ancrés dans notre culture marocaine. Un hammam où l’on trouverait de véritables Kessalates et Tayabates qui, avec des mains expertes et agiles, nous frottent et nous massent merveilleusement, en discutant avec nous.

Ce lieu existe bel et bien. Il s’agit du hammam « Le Panoramique » sis au Boulevard Panoramique, Mosquée Taha à Casablanca, conçu et réalisé par l’architecte Raouf Arabany, qui se trouve être son propriétaire. Un hammam qui a entrepris d’améliorer le traditionnel grâce au savoir technique d’aujourd’hui.

En effet, l’architecte a voulu respecter l’authenticité d’un hammam marocain populaire. Il a travaillé en harmonie avec un Maâlem, Si Bensalem, un des rares professionnels des hammams beldis. Ce dernier a une longue expérience dans la construction des hammams traditionnels. L’architecte a repris avec rigueur le principe de construction de la Chebka. Un principe ancestral selon lequel la salle chaude est construite au-dessus d’un labyrinthe de voûtains en briques et en argile (voir croquis). Ceci permet d’emprisonner la chaleur pour qu’elle puisse bien chauffer la salle au-dessus. Dans les vieux hammams, la Chebka jouxte une première pièce, la salle de combustion où est brûlé le bois en grande quantité

Cependant, par souci de protection de l’environnement et d’économie d’énergie, Raouf Arabany a opté pour une solution écologique en utilisant une chaudière améliorée à bois de 9 m3, un principe technique développé par le CDER, Centre de Développement des Energies Renouvelables.

La chaudière est en fait une cuve cylindrique qui permet un meilleur rendement énergétique et une facilité de fonctionnement par sa conception, ses matériaux et sa position dans le hammam. Elle est installée à proximité de la salle chaude, limitant ainsi toute déperdition d'énergie dans la chambre de combustion et dans les conduites de la fumée vers la Chebka, dans un local assez large pour l'accueillir.

De ce fait, cette solution permet de réduire de 50% la consommation de bois. Ainsi, elle favorise une lutte significative contre la déforestation (plusieurs milliers d’hectares de forêts sauvegardés par an) et une diminution des émissions de dioxyde de carbone (gaz à effet de serre).

Dés l’entrée du hammam « Le Panoramique », une ribambelle de femmes à forte corpulence discutent et rient dans une atmosphère joyeuse. La salle de réception, avec son haut-plafond d’au moins 4,50 m en voûte, ses murs enduits de Tadelakt et son sol marbré, nous accueille dans une agréable senteur d’encens.

La salle du hammam reprend à peu près le concept du hammam populaire, c’est-à-dire qu’on passe par trois espaces avant d’accéder à la salle la plus chaude. La chaleur y est agréable, propice au prélassement et au bien-être. Un parfum d’huiles essentielles saisit nos sens. Une lumière jaune vacille doucement et éclaire avec parcimonie et de façon ténue à travers la vapeur odorante.

On y retrouve cette ambiance chaleureuse et populaire où l’authentique est amélioré par un service impeccable. Un hammam vrai, où les bruits et les sons si communs aux hammams publics s’entremêlent. Des Kessalates et des Tayabates couvrent le silence de leurs voix imposantes. Ici et là, des femmes enduisent leur corps de henné ou d’argile.

Les orientalistes avaient bien raison de célébrer le hammam par leurs œuvres. C’est tout un art !

 

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